Droit fiscal
Dec 9, 2025
TF, 05.11.2025, 9C_301/2025
Faits
Une société genevoise, A. Genève, verse depuis 1989 des redevances à une société sœur luxembourgeoise, A. Luxembourg, pour une licence d'exploitation de logiciel. En 2000, l'Administration fiscale cantonale (AFC) genevoise a contrôlé les périodes fiscales 1995-1998, a pris connaissance de la convention de redevances et a clôturé sa procédure sans effectuer de reprise.
En 2011, l'AFC a taxé la période fiscale 2010 sans remettre en cause la déductibilité des redevances. La taxation est entrée en force. Suite à un nouveau contrôle en 2013 portant sur la période 2011, l'AFC a ouvert en 2014 une procédure en rappel d'impôt pour les années 2004 à 2010, considérant que les redevances versées à A. Luxembourg étaient excessives et constituaient une distribution dissimulée de bénéfice.
Après plusieurs procédures sur la prescription et l'accès au dossier, la Cour de justice cantonale a confirmé le rappel d'impôt pour la période 2010, jugeant que l'AFC avait découvert après la taxation des faits nouveaux, à savoir que les deux sociétés étaient des proches au sein d'un groupe. A. Genève a recouru au Tribunal fédéral.
Droit
Le Tribunal fédéral rappelle la distinction entre une procédure de taxation ordinaire et une procédure de rappel d'impôt. Si l'autorité fiscale n'est pas liée par ses appréciations antérieures pour les futures périodes fiscales (principe de l'étanchéité des périodes fiscales), elle ne peut revenir sur une taxation entrée en force qu'aux conditions strictes du rappel d'impôt (art. 151 al. 1 LIFD ; art. 53 al. 1 LHID).
Un rappel d'impôt exige une taxation incomplète et un motif de rappel. L'un des motifs est la découverte de "moyens de preuve ou de faits jusque-là inconnus" de l'autorité fiscale. La jurisprudence précise que ce motif n'est pas réalisé si l'autorité aurait dû se rendre compte de l'état de fait incomplet en raison d'une négligence grave.
De manière cruciale, une nouvelle appréciation juridique de faits ou de preuves déjà connus de l'autorité fiscale ne constitue pas un motif de rappel d'impôt. Requalifier une dépense, initialement admise comme charge justifiée par l'usage commercial, en distribution dissimulée de bénéfice est une question de droit. Une telle modification de qualification juridique ne peut justifier un rappel d'impôt sur la base de faits qui étaient déjà à la disposition de l'autorité lors de la taxation initiale.
Application au cas concret
Le Tribunal fédéral juge que l'AFC ne disposait d'aucun motif de rappel d'impôt valable. L'argument de la Cour de justice, selon lequel l'AFC aurait découvert tardivement que les deux sociétés étaient des "proches", est écarté.
Le Tribunal fédéral constate que l'AFC connaissait la relation entre les deux sociétés et la convention de redevances depuis son contrôle effectué en 2000. Les raisons sociales similaires, les administrateurs communs et la nature même du contrôle (vérification du caractère commercialement justifié des redevances) démontrent que l'AFC ne pouvait ignorer que les sociétés étaient des entités proches. Le fait qu'un contrôle ultérieur en 2013 visait spécifiquement à examiner les "prix de transferts pratiqués entre les sociétés du groupe" corrobore cette connaissance.
Par conséquent, en ouvrant la procédure de rappel d'impôt, l'AFC n'a pas découvert de faits ou de preuves nouveaux. Elle a simplement procédé à une nouvelle appréciation juridique de faits qu'elle connaissait et qu'elle avait acceptés lors des taxations précédentes. Une telle réévaluation juridique ne constitue pas un motif de rappel au sens de l'art. 151 al. 1 LIFD.
Issue
Le Tribunal fédéral admet le recours. Il annule l'arrêt de la Cour de justice et, par conséquent, les rappels d'impôt fédéral direct et cantonal et communal pour la période fiscale 2010. La cause est renvoyée à l'instance cantonale pour une nouvelle décision sur les frais et dépens des procédures antérieures.
Newsletter fiscale Silex publiée en collaboration avec Me Anna Vladau


