Droit fiscal
Nov 6, 2025
TF, 27.09.2025, 9C_113/2025
Faits
Un contribuable (le recourant) a été institué héritier pour 50% de la succession de la défunte, s'élevant à sa part à CHF 1'936'480.-. L'autorité fiscale du canton de Lucerne lui a appliqué le taux d'imposition maximal de 40% (impôt de base de 20% plus un supplément de progression de 100%), correspondant à celui pour les personnes non parentes, soit un impôt de CHF 774'592.-.
Le recourant soutient être le neveu biologique de la défunte, car il serait le fils naturel du frère de celle-ci, un prêtre catholique décédé. Il a produit une expertise ADN et un témoignage qui corroborent une forte probabilité de ce lien de parenté. S'il était reconnu comme neveu, le taux d'imposition serait de 12%.
Toutefois, le recourant n'a aucun lien de filiation juridiquement établi avec son père biologique présumé. Une action en constatation de paternité a été définitivement rejetée par les tribunaux civils zurichois, car elle était tardive au regard des dispositions transitoires du Code civil (art. 13a Tit. fin. CC). Le Tribunal cantonal lucernois a confirmé la taxation à 40%, estimant que seul le lien de parenté formellement reconnu en droit civil est déterminant en matière fiscale.
Droit
Le litige porte sur l'interprétation de la loi lucernoise sur les successions (EStG/LU), en particulier son § 3. Cette disposition, qui relève du droit cantonal non harmonisé, fixe les taux d'imposition en fonction du degré de parenté avec le défunt.
Le § 3 al. 1 EStG/LU (disposition de base) prévoit un taux de 6% pour la "souche parentale" (deuxième parentèle, incluant les neveux et nièces) et de 20% pour les personnes non parentes ou éloignées. En principe, l'interprétation des notions de droit fiscal s'aligne sur celles du droit civil (principe de l'autorité du droit civil). Selon le Code civil, la parenté découle d'un lien de filiation juridiquement établi (par naissance, reconnaissance ou jugement), et non d'un simple lien biologique.
Cependant, le § 3 al. 2 EStG/LU (disposition complémentaire) étend l'application des taux préférentiels aux "parents par le sang nés hors mariage, pour autant qu'ils aient la qualité d'héritier" ("uneheliche Blutsverwandte, sofern dieselben erbberechtigt sind"). Cette disposition est une création autonome du droit cantonal lucernois qui n'a pas d'équivalent en droit successoral fédéral.
Application au cas concret
Le Tribunal fédéral examine l'affaire en deux temps.
Premièrement, il analyse l'application de la disposition de base (§ 3 al. 1 lit. a EStG/LU). Il confirme l'approche du Tribunal cantonal selon laquelle la notion de "souche parentale" doit être interprétée conformément au droit civil. En l'absence d'un lien de filiation légalement reconnu, le recourant ne peut pas bénéficier directement du taux préférentiel prévu par cette disposition. Cette interprétation n'est pas jugée arbitraire.
Deuxièmement, et c'est le point décisif, le Tribunal fédéral constate que l'instance précédente a totalement omis d'examiner la disposition complémentaire (§ 3 al. 2 EStG/LU). Cette disposition a précisément pour but d'atténuer la rigueur d'une approche purement formelle en étendant les taux préférentiels aux parents par le sang nés hors mariage.
Pour que cette disposition s'applique, deux conditions doivent être remplies :
L'existence d'un lien de parenté par le sang ("Blutsverwandtschaft").
La qualité d'héritier ("erbberechtigt").
L'instance cantonale aurait dû examiner ces deux conditions. Elle aurait dû, à titre préjudiciel, évaluer les preuves de la filiation biologique (expertise ADN, témoignage) et, si nécessaire, ordonner une expertise judiciaire. Elle aurait également dû interpréter la notion cantonale de "qualité d'héritier" pour déterminer si elle vise uniquement les héritiers légaux ou si elle inclut également les héritiers institués par testament, comme c'est le cas du recourant. En ignorant complètement cette disposition légale, l'instance précédente a commis une violation du droit.
Issue
Le Tribunal fédéral admet le recours. Il annule l'arrêt du Tribunal cantonal lucernois.
Constatant que les faits pertinents (lien de sang) et l'interprétation d'une partie essentielle du droit cantonal n'ont pas été examinés, le Tribunal fédéral ne peut statuer lui-même sur le fond. Afin de ne pas priver le recourant d'un degré de juridiction, il renvoie l'affaire non pas au Tribunal cantonal, mais directement à l'autorité de première instance (la commune de U.________) pour une nouvelle instruction et une nouvelle décision. Celle-ci devra examiner si les conditions d'application du § 3 al. 2 EStG/LU sont remplies.
Newsletter fiscale Silex publiée en collaboration avec Me Anna Vladau

