Droit pénal

Ordonnance de classement - violation du droit de participer à l'administration des preuves (art. 147 CPP)

Ordonnance de classement - violation du droit de participer à l'administration des preuves (art. 147 CPP)

Dec 9, 2025

TF, 07.11.2025, 7B_425/2024

Faits

Dans le cadre d'une procédure de divorce, l'Autorité régionale de protection (ARP1) a autorisé le 6 juillet 2022 le déménagement en France d'une mère avec ses deux enfants, en déclarant sa décision immédiatement exécutoire, privant ainsi d'effet suspensif un éventuel recours du père. Huit jours plus tard, sur demande de ce dernier, l'ARP1 a modifié sa décision en rétablissant l'effet suspensif.

Le père a déposé une plainte pénale contre les membres de l'ARP1 pour abus d'autorité (art. 312 CP) et contrainte(art. 181 CP), leur reprochant d'avoir intentionnellement levé l'effet suspensif pour le désavantager. Le Ministère public a d'abord classé l'affaire, mais la Cour des reclami penali (CRP) a annulé cette décision, jugeant l'enquête insuffisante et exigeant de déterminer si les membres de l'ARP1 connaissaient la jurisprudence pertinente au moment de leur décision.

Pour compléter l'instruction, le Ministère public a demandé à l'ARP1 un rapport écrit au lieu de procéder à l'interrogatoire de ses membres. Sur la base de ce rapport, le Ministère public a de nouveau classé la procédure par ordonnance de classement. La Cour cantonale a confirmé ce classement. Le père recourt auprès du Tribunal fédéral à l’encontre de cet arrêt. 

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle qu'une partie plaignante  n'est habilitée à recourir sur le fond que si la décision attaquée peut influencer ses prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF). En l'espèce, d'éventuelles prétentions en dommages-intérêts contre les membres de l'ARP1 relèveraient du droit public cantonal et non de prétentions civiles au sens de la LTF. Le recourant n'a donc pas la qualité pour recourir sur le fond.

Cependant, indépendamment de la légitimation au fond, toute partie a le droit de se plaindre d'une violation de ses droits de procédure, ce qui équivaut à un déni de justice formel. Le droit d'être entendu (art. 107 CPP) garantit notamment le droit de participer à l'administration des preuves (art. 147 al. 1 CPP), ce qui inclut le droit d'assister aux interrogatoires et de poser des questions.

Le recours à un rapport écrit en lieu et place d'un interrogatoire (art. 145 CPP) doit rester une exception, appliquée avec retenue, et ne doit pas restreindre les droits des parties. Le principe fondamental de la procédure pénale demeure l'interrogatoire oral.

Application au cas concret

Le Tribunal fédéral constate que le Ministère public, en se contentant de demander un rapport écrit aux membres de l'ARP1, a violé le droit du recourant de participer à l'administration des preuves garanti par l'art. 147 CPP. Rien ne justifiait de déroger au principe de l'interrogatoire oral. Le recourant, en n'ayant pas formellement requis une audition, n'a pas pour autant renoncé à son droit, car il incombait à l'autorité de poursuite de mener l'instruction correctement.

Le Tribunal fédéral rejette l'argument de la Cour cantonale  selon lequel un renvoi pour interrogatoire serait inutile par économie de procédure (appréciation anticipée des preuves). Il relève deux points cruciaux :

  1. Le rapport écrit n'a pas été signé par tous les membres ayant participé à la décision initiale.

  2. Le rapport n'établit pas si les membres de l'ARP1 avaient connaissance de la jurisprudence pertinente au moment de leur décision, ce qui était pourtant l'élément jugé "déterminant" par la l’instance précédente  dans sa première décision d'annulation.

Par conséquent, l'interrogatoire n'était pas un moyen de preuve superflu. La violation du droit d’être entendu du recourant est avérée.

Issue

Le Tribunal fédéral admet le recours. Il annule l’arrêt de la Cour cantonale et lui renvoie la cause afin qu'elle annule l’ordonnance de classement et ordonne au Ministère public de procéder à l'interrogatoire des membres de l'ARP1, en respectant les droits de participation du recourant.


Newsletter Silex publiée en collaboration avec Justine Arnal et Camille Perrier Depeursinge