Droit pénal
Dec 9, 2025
TF, 29.10.2025, 6B_899/2024
Faits
Un ressortissant kosovar, arrivé en Suisse en 1987 à l'âge de 12 ans, a été condamné pour escroquerie multiple à l'aide sociale. L'autorité cantonale a prononcé son expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans. Le condamné, titulaire d'un permis d'établissement, vit en Suisse depuis plus de 37 ans. Il est marié et père de quatre enfants, dont un fils souffrant d'une infirmité motrice cérébrale congénitale. La famille est intacte et vit ensemble. L'épouse, qui ne parle que peu le français, et les enfants sont arrivés en Suisse par regroupement familial. Le recourant a des antécédents judiciaires et un endettement important, ce qui a conduit l'instance précédente à qualifier son intégration de "plutôt mauvaise". Il recourt au Tribunal fédéral contre la mesure d'expulsion.
Droit
Selon l’art. 66a al. 1 let. e CP, l’étranger condamné pour escroquerie à l’aide sociale est obligatoirement expulsé du territoire suisse pour une durée de cinq à quinze ans. Toutefois, le juge peut exceptionnellement renoncer à l'expulsion si celle-ci met l'étranger dans une situation personnelle grave (cas de rigueur) et que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur les intérêts privés de l'étranger à demeurer en Suisse (art. 66a al. 2 CP). Cette clause du cas de rigueur vise à garantir le respect du principe de proportionnalité. Un cas de rigueur est admis lorsqu'il y a une atteinte d'une certaine gravité au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'art. 13 Cst. et l'art. 8 CEDH. L'existence d'une relation familiale effective et vécue avec son conjoint et ses enfants mineurs est un élément central. Si un cas de rigueur est reconnu, une pesée des intérêts doit être effectuée. L'intérêt public à l'expulsion est évalué en fonction de la gravité de l'infraction, du danger que représente l'auteur et de son pronostic. L'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse est évalué au regard de son intégration, de ses liens familiaux et de la durée de son séjour. L'intérêt supérieur de ses enfants doit être une considération primordiale. Une expulsion qui conduit à la séparation d'une famille intacte ne peut être justifiée que par des motifs solides et sérieux.
Application au cas concret
Le Tribunal fédéral constate que l'instance précédente a nié à tort l'existence d'un cas de rigueur et n'a donc pas procédé à la pesée complète des intérêts requise. Bien que l'intégration du recourant soit jugée lacunaire en raison de ses dettes et de ses antécédents, le Tribunal fédéral souligne que cet élément est contrebalancé par la très longue durée de son séjour en Suisse (depuis l'enfance) et, surtout, par l'existence d'une vie familiale intense et intacte avec son épouse et ses quatre enfants. L'instance précédente a envisagé des scénarios qui mèneraient inévitablement à la séparation de la famille (le père partant seul, ou les parents partant en laissant les enfants aînés en Suisse). Le Tribunal fédéral qualifie une telle séparation d'atteinte grave au droit à la vie familiale (art. 8 CEDH). De plus, l'instance précédente a omis de prendre en compte la maladie du fils du recourant. Ces éléments suffisent à constituer un cas de rigueur au sens de l'art. 66a al. 2 CP. L'instance précédente aurait donc dû procéder à une pesée complète des intérêts, ce qu'elle n'a pas fait.
Issue
Le Tribunal fédéral admet le recours, annule l'arrêt cantonal et renvoie l'affaire à l'instance précédente pour une nouvelle décision. Celle-ci devra procéder à une pesée complète des intérêts. Elle devra notamment examiner la situation de tous les enfants, en accordant un poids particulier à l'intérêt supérieur de l'enfant malade (possibilités de traitement et de scolarisation au Kosovo). Elle devra également vérifier le statut de séjour de l'épouse (qui ne dispose que d'une autorisation de séjour dérivée) et tenir compte du fait qu'une séparation de la cellule familiale ne peut être ordonnée que pour des motifs suffisamment importants.
Newsletter Silex publiée en collaboration avec Justine Arnal et Camille Perrier Depeursinge


