Droit pénal

Contrainte multiple, entrave à un service d’intérêt général et liberté de réunion et d’expression dans le cadre de manifestations pour le climat

Contrainte multiple, entrave à un service d’intérêt général et liberté de réunion et d’expression dans le cadre de manifestations pour le climat

Dec 9, 2025

TF, 13.11.2025, 6B_1173/2023

Faits

Une militante pour le climat a participé à deux manifestations non autorisées organisées par « Extinction Rebellion » à Zurich. La première, qui a eu lieu le 20 juin 2020 sur la Quaibrücke, a entraîné le blocage de la circulation automobile et l'interruption du trafic des trams pendant plus de trois heures. La seconde, qui s’est déroulée le 4 octobre 2021 sur l'Uraniastrasse, a également bloqué la circulation, nécessitant une déviation à grande échelle pendant plusieurs heures. Dans les deux cas, la police est intervenue après avoir toléré les rassemblements pendant un certain temps et a sommé les manifestants de quitter les lieux. La recourante, qui n'était pas organisatrice mais simple participante, n'a pas obtempéré et a dû être escortée par la police. Les instances cantonales l'ont reconnue coupable de contrainte multiple (art. 181 CP) pour les deux manifestations et d'entrave aux services d’intérêt général (art. 239 CP) pour la première. Elle a été condamnée à une peine pécuniaire de 30 jours-amende avec sursis. Elle recourt au Tribunal fédéral, invoquant notamment une violation de ses libertés d'expression et de réunion.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle les conditions des infractions reprochées et les met en balance avec les libertés fondamentales.

  1. Entrave aux services d'intérêt général (art. 239 CP) : Cette infraction protège l'intérêt public à la fourniture ininterrompue de services essentiels. Pour les transports publics, la perturbation doit atteindre une certaine intensité et durée. Une simple déviation ne suffit pas ; il faut une perturbation significative du service, comme des retards importants ou l'interruption de plusieurs lignes. L'infraction est intentionnelle, le dol éventuel étant suffisant.

  2. Contrainte (art. 181 CP) : Cette infraction protège la liberté de décision et d'action de l'individu. La notion d'« entrave de quelque autre manière dans sa liberté d’action” doit être interprétée restrictivement. L'intensité de la contrainte doit être comparable à celle de la violence ou de la menace de préjudice grave. Une simple gêne ou un léger détour en milieu urbain ne suffit pas à constituer une contrainte. L'acte doit en outre être illicite, ce qui, dans le contexte de manifestations politiques, exige une pesée des intérêts tenant compte des libertés d'expression (art. 16 Cst., art. 10 CEDH) et de réunion (art. 22 Cst., art. 11 CEDH).

  3. Libertés d'expression et de réunion : Ces droits ne sont pas absolus. Une condamnation pénale constitue une ingérence qui doit reposer sur une base légale, poursuivre un but légitime (sécurité, ordre public, protection des droits d'autrui) et être proportionnée. Les manifestations sur la voie publique sont soumises à autorisation. Bien que les autorités doivent faire preuve d'une certaine tolérance envers les rassemblements pacifiques non autorisés, cette tolérance a des limites. Une condamnation pénale est admissible lorsque les manifestants perturbent intentionnellement et de manière significative la vie quotidienne, et que cette perturbation dépasse les inconvénients inhérents à l'exercice normal de ces libertés.

Application au cas concret

Le Tribunal fédéral confirme la décision de l'instance précédente.

  1. Concernant l'entrave aux services d'intérêt général : La perturbation du trafic des trams sur la Quaibrücke (cinq lignes interrompues pendant plusieurs heures sur un axe central) a atteint l'intensité requise par l'art. 239 CP. En participant à une action de blocage sur un tel axe, la recourante a accepté, au moins par dol éventuel, que le trafic des trams soit interrompu. La condamnation sur ce point est donc confirmée.

  2. Concernant la contrainte : Pour les deux manifestations, l'intensité de l'entrave à la circulation était suffisante pour constituer une contrainte. Le blocage de la Quaibrücke a paralysé le trafic, tandis que celui de l'Uraniastrasse a nécessité une déviation "à grande échelle" sur plusieurs heures. Le Tribunal fédéral juge ces actes illicites et disproportionnés. Le blocage du trafic et les perturbations ainsi occasionnées n’étaient pas seulement une conséquence accessoire des manifestations non autorisées, mais bien le but proprement dit des deux actions.  Les manifestants auraient pu choisir des lieux ou des méthodes entraînant moins de troubles pour faire valoir leur cause.

  3. Concernant les libertés fondamentales : La condamnation constitue une restriction justifiée aux libertés  d'expression et de réunion de la recourante. Elle repose sur une base légale (art. 181 et 239 CP) et poursuit des buts légitimes (ordre public, sécurité routière, protection des droits des tiers). La restriction est jugée proportionnée car le but des actions était de perturber délibérément et de manière excessive la vie quotidienne. La police a fait preuve d'une tolérance initiale (30 à 40 minutes) avant d'intervenir, permettant aux manifestants d'exercer leurs droits. Enfin, la peine infligée (peine pécuniaire avec sursis) est considérée comme modérée et ne constitue pas une atteinte disproportionnée.

Les demandes d'indemnisation pour détention et fouille corporelle prétendument illicites sont également rejetées, le Tribunal fédéral considérant que les mesures prises étaient conformes à la loi.

Issue

Le Tribunal fédéral rejette le recours de la manifestante. Il confirme sa condamnation pour entrave aux services d’intérêt général (art. 239 CP) et pour contraintes (art. 181 CP) à une peine pécuniaire de 30 jours-amende avec sursis.



Newsletter Silex publiée en collaboration avec Justine Arnal et Camille Perrier Depeursinge