Entraide pénale internationale

Entraide judiciaire à la Pologne - Principe de proportionnalité, secret d'affaires et secret professionnel

Entraide judiciaire à la Pologne - Principe de proportionnalité, secret d'affaires et secret professionnel

Dec 1, 2025

TPF, 09.09.2025, RR.2024.7

Faits

Les autorités polonaises ont adressé à la Suisse une demande d'entraide judiciaire dans le cadre d'une enquête pour blanchiment d'argent contre quatre sociétés polonaises. Celles-ci sont soupçonnées d'avoir, entre mai 2018 et janvier 2019, reçu des fonds de plusieurs dizaines de millions d'euros et de dollars sur leurs comptes, puis de les avoir transférés à d'autres sociétés étrangères sans justification économique et sur la base de faux documents.

Le Ministère public du canton de Genève (MP-GE), chargé de l'exécution de la demande, a ordonné la remise aux autorités polonaises de la documentation bancaire relative à un compte détenu par la société A. AG (la recourante) en Suisse, ce compte ayant été identifié dans l'enquête polonaise. A. AG a formé un recours contre cette décision de remise.

Droit

La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) rappelle les principes régissant l'entraide judiciaire internationale en matière pénale, notamment la Convention européenne d'entraide judiciaire (CEEJ) et la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP).

  1. Droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) : Ce droit implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. La motivation est suffisante si elle expose, même brièvement, les motifs qui l'ont guidée, permettant à la partie concernée de la contester en connaissance de cause. Une motivation implicite peut suffire et une éventuelle violation peut être guérie dans le cadre de la procédure de recours.

  2. Principe de proportionnalité et d'utilité potentielle : En matière d'entraide, il appartient principalement à l'État requérant d'apprécier si les renseignements demandés sont utiles à son enquête. L'autorité suisse ne peut refuser la transmission que si les documents sont manifestement sans rapport avec l'infraction poursuivie. Le principe de l'utilité potentielle autorise une interprétation large de la demande, incluant la remise de documents antérieurs ou postérieurs à la période des faits, afin d'assurer l'exhaustivité et d'éviter des demandes complémentaires.

  3. Protection des secrets (art. 9 EIMP) :

    1. Secret d'affaires : Il ne constitue pas un obstacle absolu à l'entraide. Son importance est mise en balance avec l'intérêt public à la poursuite pénale dans le cadre du principe de proportionnalité.

    2. Secret professionnel (art. 321 CP et 264 CPP) : Seul un secret professionnel qualifié (avocat, notaire, etc.) offre une protection. Pour les notaires, cette protection ne couvre que leurs activités typiques (ministérielles), à l'exclusion des activités commerciales. En matière d'entraide, la personne qui invoque un secret professionnel est soumise à un devoir de collaboration et de motivation accru.

Application au cas concret

La Cour rejette les griefs de la recourante.

  1. Sur la violation du droit d'être entendu : La Cour estime que la motivation du MP-GE était suffisante. En affirmant que toute la documentation était pertinente au regard du principe de l'utilité potentielle, le MP-GE a implicitement mais clairement rejeté les arguments de la recourante concernant la période des faits et les secrets d'affaires. La recourante a d'ailleurs pu contester efficacement la décision.

  2. Sur la violation du principe de proportionnalité : La transmission de l'intégralité de la documentation bancaire est jugée proportionnée. Le compte de la recourante ayant été identifié par l'État requérant, il existe un lien objectif avec l'enquête. En vertu du principe de l'utilité potentielle et du devoir d'exhaustivité, il est justifié de transmettre des documents couvrant une période plus large que celle des faits reprochés et de ne pas caviarder les noms de tiers, afin de permettre aux autorités polonaises de comprendre l'ensemble des flux financiers.

  3. Sur la violation des secrets : Le secret d'affaires invoqué ne l'emporte pas sur l'intérêt public à l'élucidation d'une infraction grave de blanchiment. Concernant le secret professionnel du notaire, le TPF note que la recourante, en tant que cliente, ne peut s'en prévaloir directement et qu'elle a failli à son devoir de collaboration en n'établissant pas que le paiement en question relevait d'une activité typique et protégée du notaire.

Issue

La TPF rejette le recours. La décision du MP-GE est confirmée. Les frais de procédure sont mis à la charge de la recourante.



Newsletter Silex publiée en collaboration avec Elisabetta Tizzoni