Droit fiscal
Oct 28, 2025
TF, 19.09.2025, 9C_87/2025
Faits
Un contribuable, ancien boulanger, a acquis plusieurs immeubles entre 1980 et 1995, dont la gestion professionnelle a été confiée à une société tierce. Jusqu'en 2016, il déclarait ses biens dans sa fortune privée. Dans sa déclaration 2016, il les a qualifiés d'actifs commerciaux. Dans le cadre de sa planification successorale, il a décidé de transférer son portefeuille immobilier, détenu en raison individuelle, à une société anonyme (SA).
Il a obtenu un ruling de l'administration fiscale cantonale zurichoise confirmant que la gestion de ses immeubles constituait une "entreprise" pouvant être transférée en neutralité fiscale. Cependant, la commune de U.________ a refusé d'accorder le report de l'impôt sur les gains immobiliers pour les biens situés sur son territoire.
Après avoir transféré les immeubles de son entreprise individuelle à une SA nouvellement créée, la commune lui a notifié une taxation de CHF 629'219.50. Dans un premier arrêt (9C_608/2022 ; BGE 150 II 40), le Tribunal fédéral avait jugé que le portefeuille immobilier constituait bien une "entreprise", mais avait renvoyé l'affaire à l'instance inférieure pour examiner la question de l'évasion fiscale. Le tribunal administratif cantonal a finalement conclu à l'absence d'évasion fiscale et a accordé le report de l'impôt. La commune de U.________ recourt contre cette décision.
Droit
Le litige porte sur deux questions : l'existence d'une activité lucrative indépendante et la qualification d'évasion fiscale.
Activité lucrative indépendante et notion d'entreprise : La gestion de son propre patrimoine immobilier dépasse le cadre de la simple gestion de fortune privée et constitue une activité lucrative indépendante (et donc une "entreprise" au sens du droit des restructurations) lorsqu'elle est gérée de manière professionnelle et que son ampleur (revenus, frais de gestion) démontre une activité à but lucratif.
Évasion fiscale : Selon la jurisprudence, une évasion fiscale est admise lorsque trois conditions cumulatives sont remplies :
(élément objectif) La forme juridique choisie par le contribuable est insolite, inappropriée ou anormale et ne correspond pas à la réalité économique.
(élément subjectif) Le choix de cette forme juridique a été fait dans le but exclusif d'économiser des impôts. S'il existe des motifs économiques sérieux autres que fiscaux, l'évasion fiscale est exclue.
(élément effectif) Le procédé aboutirait effectivement à une économie d'impôt significative s'il était accepté par les autorités.
Application au cas concret
Le Tribunal fédéral rejette les arguments de la commune.
Concernant l'activité lucrative indépendante, le Tribunal fédéral rappelle que dans son premier arrêt (BGE 150 II 40), il a déjà qualifié le portefeuille immobilier d' "entreprise". Cette qualification implique nécessairement l'existence d'une activité lucrative indépendante, dépassant la simple gestion de fortune privée. La question est donc déjà tranchée. La réaffectation des immeubles de la fortune privée à la fortune commerciale par le contribuable n'a fait que corriger la situation pour la faire correspondre à la réalité économique.
Concernant l'évasion fiscale, le Tribunal fédéral constate que les conditions ne sont pas remplies. L'argument de la commune, selon lequel le contribuable n'aurait commencé une activité indépendante que pour bénéficier du report d'impôt, est infondé, car l'activité existait déjà auparavant. Le transfert d'une entreprise d'une raison individuelle à une société de capitaux est une opération de restructuration explicitement prévue par la loi (art. 19 al. 1 lit. b LIFD ; art. 8 al. 3 lit. b LHID) et ne peut, en soi, constituer une évasion fiscale. De plus, le contribuable avait des motifs économiques sérieux et non fiscaux pour cette opération, à savoir la planification de sa succession. L'élément subjectif de l'évasion fiscale fait donc défaut.
Par conséquent, le tribunal administratif a eu raison d'accorder le report de l'impôt sur les gains immobiliers.
Issue
Le Tribunal fédéral rejette le recours de la commune de U.________. Les frais de justice sont mis à la charge de la commune, qui doit également verser une indemnité de dépens au contribuable.
Newsletter fiscale Silex publiée en collaboration avec Me Anna Vladau

